La kafala en Algérie et au Maroc, le recueil légal d’un enfant en France : principaux contours
La kafala est une institution par laquelle une personne ou une famille s'engage, à l’instar d’un parent pour son enfant, à prendre en charge la protection, l'éducation et l'entretien d'un enfant abandonné. La famille qui accueille un enfant dans le cadre d'une kafala exerce sur celui-ci l'autorité parentale, mais aucun lien de filiation n’est créé, ce qui la distingue principalement de l’adoption.
Dans un grand nombre de pays musulmans (pas tous), dont font partie l’Algérie et le Maroc, l'adoption est prohibée et seule la filiation biologique et légitime compte. La kafala est alors, dans ces pays, le seul moyen de protection d'un mineur abandonné. La kafala est d’ailleurs reconnue distinctement de l’adoption par les conventions internationales, notamment la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) du 20 novembre 1989. Il faut noter ici que dans d’autres pays comme la Tunisie, la Turquie, l’Iran, l’Indonésie, l’adoption est reconnue. En Tunisie par exemple, adoption et kafala sont deux voies ouvertes aux postulants réunissant les conditions requises.
Cette mesure de protection, d’inspiration religieuse, trouve sa source première dans le Coran, plus précisément dans un ensemble de versets de la sourate XXXIII du Coran, dont en particulier les versets 4 et 5. Il est dit en particulier que « Dieu n’a pas placé deux cœurs dans la poitrine de l’homme, Il n’a pas fait que vos épouses que vous pouvez répudier soient pour vous comme vos mères, ni que vos enfants adoptifs soient comme vos propres enfants... Appelez ces enfants adoptifs du nom de leurs pères, cela est plus juste pour Dieu ». Dans cette sourate, la prohibition de l’inceste mais aussi le principe de la filiation sont les piliers sur lesquels s’appuie l’interdiction de l’adoption, telles qu’inscrite dans le droit algérien et marocain, pour ce qui nous intéresse.
En droit marocain, l’article 149 du Code de la famille marocain (Moudawana) énonce que « L’adoption (tabanni) est juridiquement nulle et n’entraine aucun effet de la filiation. » La kafala est régie par le dahir (décret royal) n°1-02-172 du 13 juin 2002 portant promulgation de la loi relative à la prise en charge des enfants abandonnés.
Quant au droit algérien, cette interdiction est prévue par l’article 46 du code de la famille : « L'adoption (tabanni) est interdite par la chari'a et la loi.» Aux termes de l’ordonnance n° 05-02 du 27 février 2005 modifiant et complétant la loi n°84-11 du 9 juin 1984 portant code de la famille, le recueil légal est l’engagement à prendre en charge bénévolement l’entretien, l’éducation et la protection d’un enfant mineur, au même titre que le ferait un père pour son enfant. L’acte établi par le juge confère à son bénéficiaire la tutelle légale.
En Algérie comme au Maroc, il est possible de recourir à deux types de kafala :
La kafala notariale : elle est établie devant un notaire, dans la très grande majorité des cas afin d’obtenir une kafala intra-familiale. Le postulant à la kafala doit obtenir le consentement des parents de l'enfant et constituer un dossier qui est soumis à un notaire chargé de rédiger l'acte de kafala. Par ce dossier, il doit prouver ses moyens d'existence, son état de santé et donner tous les documents exigés par la loi, en particulier sur son identité et sa domiciliation.
La kafala judiciaire : elle est établie par un juge, et concerne dans la très grande majorité des cas l'enfant définitivement abandonné ou né de parents inconnus. Le postulant à la Kafala s'adresse aux services de l'assistance publique. L'enfant recueilli peut être de filiation connue ou inconnue. La kafala judiciaire est délivrée par un juge dans le cadre d'une procédure rigoureusement encadrée par la loi, en Algérie comme au Maroc.
Qu’elle soit notariale ou judiciaire, qu’elle soit prononcée en Algérie ou au Maroc, la kafala oblige le kafil à entretenir l’enfant, à le protéger, à subvenir à tous ses besoins jusqu’à sa majorité légale, voire au-delà. Il est civilement responsable de son enfant, et de ses actes.
En Algérie, depuis le décret n° 92-24 du 13 janvier 1992 complétant le décret n° 71-157 du 3 juin 1971 relatif au changement de nom, l'enfant mineur recueilli, s'il est de père inconnu, peut changer de nom pour le faire concorder avec le nom patronymique. Il transmettra à son tour ce nom à ses propres enfants entrant par là dans la lignée.
Au Maroc, la loi n° 97-99 relative à l'état civil Dahir Chérifien n°1.02-239 du 3/10/2002 dans son art.20 laisse désormais la possibilité au kafil d'attribuer son nom à l’enfant mekfoul.
La loi française n° 2001-111 du 6 février 2001 - relative aux conflits de lois dans l'adoption internationale - a intégré dans le code civil une interprétation de la sourate 33 (interprétation qu'on ne relève pas, par exemple, en Tunisie ou encore en Iran). Ainsi, depuis 2001, l'adoption d'un mineur étranger ne peut désormais plus être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, ce qui est le cas en Algérie ou au Maroc. Les enfants recueillis par kafala en Algérie ou au Maroc sont donc considérés comme étant des enfants à la charge de leurs parents makfouls, et ces derniers reconnus comme étant détenteurs de l’autorité parentale ou des « tuteurs », cette tutelle n’ayant toutefois pas les contours de la tutelle telle que définie dans le code civil français.
Il est important ici de souligner que seules les kafalas judiciaires, établies par les tribunaux, sont reconnues par les autorités françaises.
En 2014, le ministère de la justice a rédigé la circulaire du 22 octobre 2014 relative aux effets juridiques du recueil légal en France (NOR : JUSC1416688C). Cette circulaire a été élaborée suite à la demande, largement soutenue par l’APAERK, de clarification de la situation juridique en France des enfants ayant fait l’objet d’une mesure de kafala dans leur pays d’origine, au regard des nombreuses difficultés administratives rencontrées par les parents kafils. La circulaire a donc pour objet de présenter les contours du recueil légal dans les pays d’origine, d’en préciser les effets en France et de rappeler les conditions dans lesquelles un enfant ayant fait l’objet d’un recueil légal et devenu français peut être adopté en France.